EXCLUSIF – Débordé par l’ampleur du scandale, Emmanuel Macron s’est appuyé sur ses proches de la première heure. Récit d’une gestion de crise.
Ce n’est jamais très bon signe quand ça commence par un raté. Un petit raté de rien du tout mais qui va donner le ton de quinze jours en enfer pour l’Élysée. Le garde du corps d’Emmanuel Macron vient d’être identifié par le journal Le Monde sur une vidéo de violences commises lors des manifestations du 1er Mai. Le scandale qui s’annonce est potentiellement dévastateur pour le chef de l’État. À tel point que l’Élysée décide de répondre comme il ne l’a encore jamais fait depuis un an: en envoyant au front le porte-parole de la présidence de la République, Bruno Roger-Petit, pour une intervention en direct.
Il faut éteindre le départ d’incendie, fournir des images aux chaînes d’information en continu qui tournent en boucle sur l’affaire depuis le matin. Le message délivré et son objectif sont simples: l’Élysée était au courant, Alexandre Benalla a été sanctionné, fin de l’histoire. Pas de questions, les journalistes n’ont pas été autorisés à entrer dans la salle pour en poser au porte-parole.
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Dans cette pièce qui sert d’ordinaire aux comptes rendus du Conseil des ministres, Bruno Roger-Petit s’installe derrière le pupitre et commence à lire son communiqué. À l’intérieur du Palais, les collaborateurs du président sont tous devant la télé. Lorsqu’on les informe que l’intervention a démarré, ils s’inquiètent un peu, il n’y a rien à l’écran. Moment de flottement. Dans la salle, pendant que le porte-parole continue à lire son communiqué, un conseiller s’alarme aussi en remarquant un câble qui pendouille: «Pourquoi c’est pas branché, ça?! » Un technicien a oublié d’activer la connexion qui permet d’assurer le direct. La déclaration de Bruno Roger-Petit sera finalement bien diffusée, mais en retard. Le point de départ de trois jours d’improvisation dans l’urgence qui vont voir Emmanuel Macron malmené comme jamais depuis son élection, attaqué de toutes parts, droite, gauche, extrême droite et extrême gauche rassemblées dans une même offensive contre lui.
«Non seulement il y a eu du retard à l’allumage mais, en plus, quand on a allumé, on s’est rendu compte que nous ne disposions pas d’un véritable dispositif de crise»
Face à l’avalanche de révélations et de rumeurs qui circulent sur Alexandre Benalla, l’Élysée entre en mode gestion de crise et s’efforce tant bien que mal de s’organiser. Le service de presse se transforme en une sorte de gigantesque «call center». Le brouhaha y est continu. Il faut contenir le flux ininterrompu d’appels de la presse. Les demandes sont traitées dans un ordre précis. D’abord, répondre aux chaînes d’information en continu. Ce sont elles qui font vivre le feuilleton en direct. Ensuite, traiter les matinales radio. C’est là que se donne le ton de la journée. Enfin, s’occuper de la presse écrite. C’est sur le papier que se fixe le récit.
Trois jours durant, l’affaire Benalla va de rebondissement en rebondissement. Le vrai se mêle au faux et les rumeurs tutoient le vraisemblable. Le salaire de 10 000 euros. La voiture de fonction équipée toutes options police. Le permis de port d’arme. Le logement de fonction de 300 mètres carrés au quai Branly. La proximité avec le chef de l’État. La police parallèle. L’habilitation secret-défense. Le badge d’accès à l’Hémicycle. Les clés de la maison du Touquet. Le grade de lieutenant-colonel… L’Élysée joue en défense.
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En quatre jours, quatre démentis officiels partiront du Palais. Du jamais-vu. «On ne va pas se mentir, on a encaissé tous les buts, soupire un conseiller d’Emmanuel Macron. Non seulement il y a eu du retard à l’allumage mais, en plus, quand on a allumé, on s’est rendu compte que nous ne disposions pas d’un véritable dispositif de crise. Nous n’avions pas de relais efficaces dans ce genre de situation avec les ministères ou le Parlement.»
Dans les couloirs de l’Assemblée, les ministres du gouvernement rasent les murs, traqués par les députés de l’opposition. C’est la panique dans la macronie
En écho au chaos médiatique, les oppositions au chef de l’État ont décidé de mettre l’Assemblée nationale à feu et à sang. L’épicentre de la crise se trouve au cœur de l’Hémicycle où les députés sont censés examiner la réforme constitutionnelle. L’opposition multiplie les rappels au règlement à l’infini. Dans les couloirs de l’Assemblée, les ministres du gouvernement rasent les murs, traqués par les députés de l’opposition. C’est la panique dans la macronie.
Elle est d’autant plus forte que rien ne filtre de l’Élysée. Le chef de l’État ne veut pas abîmer la parole présidentielle en la mêlant au vacarme du scandale. Il se tait, mais, sans leur chef, les troupes sont perdues. Emmanuel Macron et ses proches campent sur la version du premier jour: Alexandre Benalla a été sanctionné, il n’y a pas d’affaire Benalla. L’opposition hurle l’inverse. «Watergate français», dénonce Jean-Luc Mélenchon. «Dérive autoritaire du pouvoir», s’alarme Christian Jacob. «Présidence du mensonge», s’insurge Olivier Faure. Et en chœur, tous évoquent un «scandale d’État».
«Tortue romaine»
Le dimanche 22 juillet, au quatrième jour d’une crise qui semble ne pas avoir encore atteint son pic d’intensité, Emmanuel Macron comprend que l’affaire Benalla est désormais hors de contrôle. Le licenciement de son garde du corps ne suffira pas. S’il ne reprend pas la main très vite, les dégâts risquent d’être considérables. Il faut former la «tortue romaine», se remettre en mode commando, celui qui a accompagné Emmanuel Macron dans sa conquête du pouvoir.
Dans son bureau de l’Élysée, le président de la République convoque ses plus proches conseillers, ceux de la première heure, le cœur du réacteur de la macronie: Ismaël Emelien, Sibeth N’Diaye, Sylvain Fort et Stéphane Séjourné. Le conseiller spécial, la conseillère communication, le conseiller discours et le conseiller politique. Ils sont accompagnés d’Alexis Kohler, secrétaire général et tour de contrôle de l’Élysée. Le porte-parole, Bruno Roger-Petit, n’est pas convié, il n’a jamais fait partie du sérail et s’attire les critiques des proches de la première heure. Face à la crise, c’est le noyau dur de l’équipe de campagne qui se reforme. Depuis que ces cinq-là sont entrés à l’Élysée, leur énergie collective et leur force de frappe se sont diluées dans la gestion quotidienne du pouvoir.
En se reformant, l’équipe de campagne retrouve les réflexes de gestion de crise qu’elle avait acquis durant l’élection présidentielle. C’est aussi le retour des nuits sans sommeil
«Vous allez mettre en place une vraie procédure de crise. Je veux que vous constituiez une “war room”», leur demande le président de la République. La cellule de crise s’installe dans le bureau d’Ismaël Emelien, au deuxième étage de la présidence de la République. Ils créent une boucle Telegram qu’ils baptisent «war room», mais le chef de l’État n’en fait pas partie. Impossible. Trop de messages circulent. Seules les informations essentielles lui sont communiquées via une autre messagerie.
Une seconde boucle est mise en place pour être en contact permanent avec le service de presse. La riposte s’organise. En se reformant, l’équipe de campagne retrouve les réflexes de gestion de crise qu’elle avait acquis durant l’élection présidentielle. C’est aussi le retour des nuits sans sommeil.
Première étape: prendre la mesure réelle de la menace. Comme dans le monde de la finance avant une grosse opération de rachat ou de fusion, l’équipe procède aux «due diligences». Dans la banque d’affaires, ce mécanisme vise à permettre aux entreprises en négociations de se faire connaître leurs petits secrets respectifs afin que personne ne découvre de cadavre dans les placards à l’issue de l’opération. La «war room» de l’Élysée passe le profil d’Alexandre Benalla au scanner: ce qui est sorti, ce qui peut sortir, ce qui peut relancer l’affaire. Il faut rassembler les informations, démonter les rumeurs, élaborer des argumentaires sur chacune des attaques encaissées. Objectif: nettoyer les «fake news» sur Alexandre Benalla.
La « war room » est à la manœuvre et s’occupe de tout, y compris d’annuler le déplacement du président de la République sur le Tour de France
Deuxième étape: planifier la riposte. Les membres de la macronie qui s’expriment publiquement sur l’affaire sont briefés. Convoqués par la commission d’enquête du Sénat, Alexis Kohler et Patrick Strzoda, le directeur de cabinet, sont pris en charge par la cellule de crise. Le périmètre de leurs interventions est délimité avec autorisation, si cela s’avère nécessaire, d’aller au-delà de ce qu’impliquerait normalement le principe de séparation des pouvoirs. Dans le même temps, les prises de parole des troupes macronistes sont coordonnées. Après cinq jours de silence ou presque, il faut désormais occuper chaque jour le terrain.
C’est là que se décide l’intervention du président de la République devant la majorité lors du pot de fin de session à la Maison de l’Amérique latine. Le discours est conçu comme le point de départ du retour d’Emmanuel Macron et de ses troupes dans le jeu. C’est là aussi que l’intervention dans l’Hémicycle du premier ministre, Édouard Philippe, est calibrée. La «war room» est à la manœuvre et s’occupe de tout, y compris d’annuler le déplacement du président de la République sur le Tour de France. Pour la première fois depuis le début de son quinquennat, le maître des horloges accepte de bousculer son agenda. Il tentera tout de même quelques bains de foule dans les Hautes-Pyrénées pour se rassurer et prendre de la distance avec l’affaire.
Fausses notes
Mais la tentative de reprise en main de la crise par l’Élysée n’empêche pas les fausses notes. Un jour, c’est Christophe Castaner qui explique qu’Alexandre Benalla était dans le bus des Bleus pour s’occuper des bagages. Le lendemain, c’est Mimi Marchand qui est aperçue par les journalistes du Monde alors qu’ils réalisent une interview d’Alexandre Benalla. La papesse de la presse people qui gère l’image du couple Macron se justifie en assurant qu’elle ne faisait que passer récupérer les clés d’une maison de vacances. Plus tard encore, c’est Alexandre Benalla qui tente de récupérer sa voiture de fonction à la fourrière. Elle avait été embarquée pendant son audition par le juge au Palais de justice, avant sa garde à vue. L’Élysée n’avait pas été prévenu. La farce le dispute au grotesque, mais, tant bien que mal, la sortie de la phase aiguë de la crise se profile.
«L’histoire n’est pas terminée. De notre point de vue, cette affaire était exagérée, mais nous ne sous-estimons pas le fait que cela puisse laisser des traces»
Poursuivi par l’affaire en Espagne puis au Portugal où il effectue un déplacement de deux jours, Emmanuel Macron est encore régulièrement interpellé sur le sujet. Il lui reste une étape à franchir: les deux motions de censure déposées contre son gouvernement par la droite et la gauche à l’Assemblée nationale. Pour répondre, Édouard Philippe choisit le terrain politique.
«Vos motions de censure ne sont rien d’autre que des motions de blocage», lance-t-il en dénonçant l’«instrumentalisation politique» qui vise à «atteindre le président de la République», mais aussi «ralentir le rythme des réformes». «Nous ne ralentirons pas, nous ne lâcherons rien» sur les réformes, prévient le premier ministre. Sans surprise, les motions échouent. Les vacances parlementaires se profilent et, avec elles, l’entrée de l’affaire Benalla dans une phase sans doute moins virulente sur le plan politique et médiatique mais tout aussi complexe: l’enquête judiciaire.
«L’histoire n’est pas terminée, reconnaît un conseiller du chef de l’État. De notre point de vue, cette affaire était exagérée, mais nous ne sous-estimons pas le fait que cela puisse laisser des traces. Il faut être très attentif à l’effet “poison lent” de ce genre de crise. À un moment, il faudra que le président revienne dessus, en action ou en parole.» Pour l’heure, Emmanuel Macron n’a pas encore tranché sur la forme d’une intervention éventuelle.
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Source : ©Affaire Benalla : dans le secret de la «war room» de l’Élysée
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Alain Benhaim
JUIFS DE FRANCE CONTAMINES PAR L’EXTREME CONNERIE DES OPPOSITIONS SANS IDEE EN FRANCE ?