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Archive du 31 mai 1948 sur le sujet :

A Jaffa et à Haïfa les Juifs espèrent le retour des Arabes

Source:© A Jaffa et à Haïfa les Juifs espèrent le retour des Arabes

https://www.lemonde.fr/archives/article/1948/05/31/a-jaffa-et-a-haifa-les-juifs-esperent-le-retour-des-arabes_1902182_1819218.html

Tel-Aviv et Jaffa sont accolées l’une à l’autre comme Mézières et Charleville ; aucune démarcation naturelle ne sépare la nouvelle capitale de l’État d’Israël du grand port arabe. Il est pourtant impossible de se tromper en passant d’une ville à l’autre. Non seulement les caractères arabes succèdent aux caractères hébreux sur les enseignes des boutiques, mais toutes les constructions diffèrent, la crasse succède au confort. En un mot, en passant le faubourg d’Abou-el-Kébir on quitte le vingtième siècle pour retourner au moyen âge.

L’une des rues les plus fréquentées de Tel-Aviv longe la plage et dessert la plupart des grands hôtels de la ville : cette rue se prolonge vers Jaffa et aboutit au pied même du minaret de la mosquée d’où les Arabes pouvaient prendre toute la rue en enfilade et tirer ainsi facilement jusqu’au centre de la cité juive. En sortant des hôtels chacun devait longer les murs pour ne pas risquer de se faire ajuster par un tireur arabe ; les traces de balles encore apparentes sur les murs des maisons et même sur la résidence du consul de France, qui se dresse sur le front de mer, témoignent qu’au début des fusillades échangées entre Tel-Aviv et Jaffa les risques étaient grands. Pour faire face au danger qui guettait les habitants de Tel-Aviv, en plein centre de leur ville, les Juifs construisirent alors un mur haut d’une vingtaine de mètres qui bornait l’horizon des tireurs arabes. Aujourd’hui ce mur est détruit car les Juifs n’ont plus besoin de protection.

Jaffa est une ville morte où s’exerce maintenant le contrôle de la Haganah.

” Avant que les Anglais imposent la trêve Jaffa fut un véritable enfer, me disait à Port-Saïd un réfugié tchèque qui avait préféré fuir avec les Arabes plutôt que rester sur place. Nous avons été bombardés par les Juifs, et l’Irgoun a causé des destructions considérables avec des explosifs. ” En visitant Jaffa quelques jours plus tard je devais constater que les destructions étaient en effet beaucoup plus sérieuses que je ne l’aurais cru.

Jaffa, ville déserte

Jaffa, ville de 70.000 habitants, est aujourd’hui une ville fantôme, hantée par des chiens et des chats errants. ” Au début des négociations, me disait le chef local de la Haganah, les Arabes nous avaient assuré que cinq mille d’entre eux étaient restés sur place, mais probablement pendant la durée des pourparlers de la capitulation l’exode s’est poursuivi, car, bien que le recensement de la population ne soit pas encore terminé, je ne pense, pas qu’il reste plus de trois mille âmes, femmes et enfants compris. Pour la plupart ce sont des vieillards, des impotents ou des gens trop pauvres pour avoir pu se procurer une place sur l’un des véhicules de toutes sortes que les Arabes de Jaffa, pris de panique, ont empruntés pour fuir vers Gaza, vers l’Égypte ou vers l’hinterland arabe, dans les environs de Hébron. “

Le sol est jonché de débris de toutes sortes : des toitures pendent lamentablement, des rideaux de fer arrachés témoignent que les boutiques furent souvent pillées par les derniers fuyards, et des maisons détruites prouvent que les mortiers juifs n’ont pas été inefficaces. Les seuls êtres humains que l’on rencontre dans les rues sont les soldats de la Haganah qui organisent la défense de la ville contre une attaque possible mais peu probable venant du Sud : des murs de sacs de sable encombrent les principales artères, et des sentinelles montent la garde avec beaucoup de sérieux, mitraillette en main ; on se demande avec curiosité ce qu’elles peuvent bien garder, à moins qu’elles aient été mises en place pour la plus grande satisfaction des photographes et des cinéastes qui nous accompagnaient. Le drapeau sioniste flotte sur les principaux bâtiments de la ville et sur les docks du port où on aurait – parait-il – découvert des stocks de farine empoisonnée.

Les hangars de marchandises servent de casernement aux troupes de la Haganah, hommes et femmes. A 200 mètres de l’entrée des quais flottent deux drapeaux français : l’un sur une église, l’autre sur un hôpital occupé par des sœurs. ” Dès le début de l’attaque, m’expliqua la supérieure, les médecins arabes ont fui la ville devant la violence de l’action menée par l’Irgoun, mais lorsque les Anglais ont rétabli l’ordre ils ont mis à notre disposition tout ce dont nous avions besoin, et l’hôpital fonctionne tout à fait normalement. M. Charreyron, le consul de France à Tel-Aviv, vient souvent nous rendre visite, et s’assure lui-même que nos malades ne manquent de rien. “

Au cours d’une audience qu’il accorda à quelques journalistes M. Chizik, ” gouverneur militaire pour les affaires civiles “, nommé à Jaffa par le gouvernement d’Israël, nous a assurés de sa sollicitude pour les intérêts français et étrangers à Jaffa : ” Nous n’avons pas l’intention de conserver Jaffa le jour où une entente sera possible avec les Arabes, déclara-t-il ; il ne s’agit que d’une occupation temporaire nécessitée par des raisons de ” self-protection “. Nous ne souhaitons qu’une chose : c’est que les commerçants et les fonctionnaires arabes reviennent le plus tôt possible. Nous sommes prêts à les accepter après nous être assurés qu’il ne s’agit pas d’éléments perturbateurs. “

Lorsqu’on traverse Jaffa pour arriver à la route qui conduit à Jérusalem, et pour laquelle on se bat pratiquement depuis le 30 novembre, lorsqu’on voit le fort réseau de défense qui interdit l’accès de la ville on ne conserve que peu d’espoir de voir rapidement revenir les Arabes. Le problème de leur retour ne se pose pas seulement à Jaffa mais aussi à Haïfa, où il cause quelque inquiétude aux autorités Juives locales.

Les Anglais ne lâchent pas le contrôle de Haïfa

A Haïfa la question est légèrement différente, car en temps normal Arabes et Juifs cohabitaient. C’était en quelque sorte une ville mixte sur laquelle les Anglais veillaient – et veillent encore – avec beaucoup de constance, car il ne faut pas oublier qu’il s’agit de la ville du pétrole. ” Si seulement un Jour ce n’était plus du pétrole mais de l’eau qui coulait dans les pipe-lines, me disait un chauffeur de taxi, tout le monde y gagnerait, sauf peut-être les Anglais, mais vous verriez que plus personne n’aurait intérêt à ce que la lutte se poursuive entre Arabes et Juifs. “

L’action militaire qui permit à la Haganah de chasser les Arabes de la ville a été menée rapidement et énergiquement. Ici aussi, comme à Jaffa, les destructions ne sont que trop visibles, car on s’est battu avec acharnement pour l’unique pont qui permet d’accéder par voie de terre à Saint-Jean-d’Acre. Le drapeau sioniste flotte maintenant sur le quartier arabe dont toute la population s’est enfuie, à l’exception de dix mille Arabes, chrétiens pour la plupart, et qui vivent en parfaite harmonie avec les Juifs.

Le maire, M. Chabotie Lévi, est israélite ; l’adjoint, M. Karaman, porte le tarbouch ; pour se convaincre que la collaboration judéo-arabe n’est pas une chimère il n’y a qu’à arpenter les quais du port où dockers arabes et juifs travaillent ensemble sans que l’on ait à déplorer le moindre incident. Après les combats de début mai les Arabes déménageaient dans l’affolement, et depuis que le calme est revenu on peut voir les camions où est entassé tout un mobilier hétéroclite revenir vers Haïfa. On se demande sincèrement ce que peuvent redouter les Anglais quand ils annoncent qu’ils reprennent le contrôle de Haïfa pour prévenir des troubles qui nuiraient à la sécurité de leurs troupes. On reste convaincu à Haïfa que malgré leurs assurances répétées de ne pas laisser un seul soldat britannique après le 1er août les Anglais feront l’impossible pour se faire ” offrir ” une concession qui leur permettra de veiller à la sauvegarde de leurs intérêts.

” Les Anglais embarquent, me disait un haut fonctionnaire juif du port; il en part quelquefois deux mille dans la même Journée, mais je crains de ne pas vivre assez vieux pour voir partir le dernier d’entre eux. “

Mon interlocuteur n’avait pourtant pas plus de quarante ans…

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