REPORTAGE – L’armée israélienne érige un mur en béton souterrain le long de la frontière avec la bande de Gaza, pour empêcher les attaques menées par les groupes armés palestiniens depuis ce territoire.
Envoyé spécial à Kissoufim
Le chantier s’étend à perte de vue le long de la frontière avec la bande de Gaza. De loin en loin, d’immenses engins de couleur jaune forent le sous-sol tandis que d’autres coulent du béton dans une tranchée ou manœuvrent des armatures d’acier aux proportions cyclopéennes. Un an après le début des travaux, l’armée israélienne affirme avoir construit quatre des soixante-cinq kilomètres du mur souterrain qui protégera à terme la population civile contre les tunnels offensifs du Hamas. Plusieurs centaines d’ouvriers, ajoute-t-elle, s’y affairent six jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
L’ouvrage, dont le coût est estimé à 3 milliards de shekels (environ 750 millions d’euros), devrait être achevé d’ici à l’été 2019. «On pourra alors dire aux habitants des localités voisines qu’ils sont à l’abri de cette menace», a assuré jeudi un haut responsable militaire lors d’une rare visite sur site organisé pour la presse étrangère.
La construction d’un tel mur souterrain, apparemment sans précédent, a été décidée après la guerre de l’été 2014. Tout au long de ce conflit de 52 jours, lors duquel plus de 2100 Palestiniens et 73 Israéliens furent tués, les habitants des kibboutz frontaliers ont vécu avec la crainte de voir des combattants ennemis surgir des profondeurs via les tunnels percés sous la vieille clôture qui enserre Gaza.
À quatre reprises, d’ailleurs, des commandos du Hamas ont réussi à s’infiltrer en Israël. Le plus meurtrier de ces raids, conduit le 28 juillet 2014, a coûté la vie à cinq soldats israéliens postés dans une tourelle d’observation près du kibboutz de Nahal Oz. L’armée affirme avoir détruit 32 tunnels durant l’opération «Bordure protectrice», mais elle se dit convaincue que les groupes armés ont repris leurs travaux souterrains dès la fin des hostilités. Une commission d’enquête a par la suite accusé le gouvernement de ne pas avoir prêté suffisamment attention à une menace pourtant ancienne. En 2006, déjà, c’est par un tunnel qu’un commando palestinien s’était infiltré près de Kerem Shalom pour capturer le soldat Gilad Shalit…
Sommée de trouver une parade, l’armée a commencé par renforcer les moyens consacrés à la surveillance et à la détection des tunnels. Selon le haut gradé israélien, le Hamas et le Djihad islamique y ont développé «l’équivalent d’un réseau de métro» dans lequel travaillent plusieurs milliers d’ouvriers. S’inspirant des ouvrages de contrebande qui permettaient, jusqu’à leur destruction à l’été 2013, d’acheminer toutes sortes de marchandises depuis la péninsule égyptienne du Sinaï, les groupes armés ont développé leur savoir-faire et sont désormais capables de creuser à plusieurs dizaines de mètres de profondeur. «Les plus sophistiqués de ces tunnels sont équipés d’un réseau électrique, de toilettes et même de salles de bains», assure l’officier, qui dénonce «le détournement cynique de matériaux dont le transfert a été autorisé dans un cadre humanitaire».
À l’évidence de mieux en mieux renseignée, l’armée a récemment localisé et détruit trois tunnels dont les ramifications se prolongeaient côté israélien. Le 30 octobre, c’est d’abord un ouvrage édifié par le Djihad islamique qu’elle a fait exploser non loin du kibboutz Kissoufim. Cinq membres du groupe armé ont été tués sur-le-champ tandis que 9 sauveteurs sont morts, probablement d’asphyxie, au cours de leur intervention. Le tunnel, dont la presse a pu visiter jeudi l’extrémité est, mesure 1,80 mètre de haut, 80 cm de large et s’enfonçait 26 mètres sous terre en son point le plus bas – mais seulement à 6 mètres de profondeur sur le lieu de sa destruction.
Dimanche dernier, l’armée a aussi bombardé un tunnel percé sous le terminal frontalier de Kerem Shalom, par où transitent les marchandises destinées à Gaza. «Le Hamas est désormais sous pression», veut croire le gradé israélien, qui prévient: «D’ici à quelques mois, ses tunnels offensifs ne lui serviront plus à rien.»
Multiplication des tirs de roquette
Le mur souterrain, large d’environ un mètre, s’enfoncera à une profondeur que les autorités souhaitent garder secrète mais dont on comprend qu’elle se comptera en dizaines de mètres. Cinq usines de ciment ont été construites le long de la frontière et une vingtaine de foreuses seront à terme déployées sur le chantier. Une clôture haute de huit à neuf mètres, équipée de multiples détecteurs, complétera le dispositif en surface. Certains spécialistes préviennent qu’aucune construction, si solide soit-il, ne peut offrir une protection absolue contre les tentatives d’intrusion souterraine. Mais les militaires se disent certains que le nouvel obstacle sera assez coriace pour leur laisser le temps d’intervenir en cas d’alerte.
Ce coup de projecteur sur un chantier jusqu’à présent piloté avec une relative discrétion intervient alors que le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza depuis l’été 2007, affronte des difficultés d’une ampleur inédite. Les infrastructures sont à bout de souffle et l’économie tourne au ralenti, comme en témoigne la récente diminution de moitié de la quantité de marchandises qui pénètre chaque jour par le terminal de Kerem Shalom.
Cette crise contribue sans doute à expliquer la récente la multiplication des tirs de roquette vers Israël, en dépit des efforts déployés par le mouvement islamiste pour contenir les factions les plus radicales. «Nous pensons que le Hamas ne veut pas d’une escalade, glisse l’officier de Tsahal, mais il suffirait qu’une roquette tombe sur un bus ou une crèche pour que la situation échappe à tout contrôle.»
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Source:© À Gaza, Israël construit un mur antitunnels