Il a suffi à Emmanuel Macron d’évoquer la création d’un «revenu universel d’activité» jeudi lors de l’annonce de son plan de lutte contre la pauvreté pour qu’aussitôt son propos résonne avec l’élection présidentielle de 2017, quand le candidat socialiste, Benoît Hamon, avait fait de cette thématique l’axe central de sa campagne. Lui proposait un «revenu universel d’existence» de 600 euros par mois (devant atteindre progressivement 750 euros), au profit des personnes dénuées de ressources, et sans autre condition.

Cette allocation était censée supplanter le Revenu de solidarité active (RSA) et la prime d’activité. Bien que le terme «universel» figure aussi dans le dispositif que le Président entend mettre en place par le vote d’«une loi en 2020», les deux hommes ne parlent pas tout à fait de la même chose. Le revenu universel d’activité d’Emmanuel Macron semble a priori s’inscrire dans un grand chantier de refonte des minima sociaux. Lors de son discours jeudi au musée de l’Homme, le chef de l’Etat a déploré le «maquis des aides existantes [qui] ne permet pas de sortir de la pauvreté». Sa démarche semble notamment animée par un souci de simplification d’accès aux droits. «Nous allons fusionner le plus grand nombre de prestations sociales [et] apporter une réponse unique» pour ensuite «s’assurer que les gens vivent dignement».

Mais les contours de ce revenu universel d’activité restent extrêmement flous. «Il faut vraiment faire attention à la sémantique. Nombre de personnalités politiques reprennent le concept du revenu universel et l’aménagent à leur convenance», pointe Jean-Eric Hyafil, enseignant en économie, auteur d’une thèse sur le revenu universel. «Le vrai revenu universel est versé individuellement à toutes les personnes majeures résidant dans un pays, sans conditions de ressources ni contrepartie», insiste-t-il . Ce qui ne correspond pas vraiment à la définition qu’en a donnée Emmanuel Macron jeudi : le revenu qu’il veut faire adopter dans deux ans sera, selon lui, «universel, car chacun pourra y prétendre dès que ses [ressources] passeront en dessous d’un certain seuil». Mais son attribution est conditionnée aux revenus d’un individu ou d’une famille, ainsi qu’à des obligations auxquelles l’allocataire sera tenu. Ce dernier devra s’inscrire dans «un parcours d’insertion» et bénéficiera d’une «aide et d’un accompagnement». Mais s’il «refuse plus de deux offres d’emploi raisonnables», celui-ci perdra ses droits. Comme les personnes au chômage inscrites à Pôle Emploi. «Nous veillerons à ce que les devoirs soient respectés», a prévenu le chef de l’Etat, parlant «d’un contrat d’engagement réciproque».

«Sans ressource»

Pour Camille Lambert, l’une des responsables du Mouvement pour un revenu de base (MRB), «le revenu universel d’activité n’est pas un vrai revenu universel. Cela pourrait être pire que ce qui existe aujourd’hui, car quelqu’un qui refuserait deux offres d’emploi se retrouverait carrément sans la moindre ressource». Les associations de lutte contre les exclusions ont du mal à décrypter les intentions de l’exécutif. «Le Président a parlé d’une fusion des prestations existantes, mais on ignore lesquelles sont concernées, commente Florent Guéguen, directeur général de la Fédération des associations de solidarité. Le chef de l’Etat n’a cité que le RSA et l’APL [aide personnalisée au logement], ce qui pose beaucoup de questions. Car l’APL est certes perçue par des personnes vivant sous le seuil de pauvreté, mais aussi par des ménages modestes qui ne sont pas pour autant pauvres.» Dans les milieux des HLM, certains redoutent que la fusion des APL dans un dispositif comprenant des minima sociaux n’aboutisse à couper encore davantage dans les allocations logement. Dans le cadre de la loi de finances 2018, le gouvernement a déjà imposé près de 2 milliards d’économie sur les APL, qui est le mécanisme de redistribution le plus puissant parmi toutes les aides sociales.

Baisse de revenus

Ce revenu qui n’a donc pas grand-chose d’universel risque-t-il de mettre en péril le modèle social français, comme le craignent certains à gauche, alors que le gouvernement cherche, par tous les moyens, à faire des économies ? Non, promet, la ministre des Affaires sociales, Agnès Buzyn, sur le pont après le discours d’Emmanuel Macron pour expliquer que cette «réforme de grande ampleur» n’est motivée par «aucune intention cachée de remettre en cause certains droits». Et d’ajouter : «Il n’y a aucune remise en cause des aides monétaires, qui augmentent et augmenteront encore», rappelant la promesse du Président de continuer à revaloriser au cours des prochaines années le minimum vieillesse, la prime d’activité et l’aide aux adultes handicapés. Mais la ministre a aussi fait preuve de prudence, précisant que cette réforme nécessitait de «prendre le temps». Et pour cause. Révélée en août par le Monde, une étude commandée par le Premier ministre à France Stratégie (un organisme rattaché à Matignon) présente un bilan bien peu optimiste d’une fusion des minima sociaux en vue de créer une allocation sociale unique.

Selon cette «mission de réflexion», le regroupement du RSA, de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), de la prime d’activité, aides au logement, de l’allocation adulte handicapé (AHH), de l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA, ex-minimum vieillesse), et de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI) entraînerait une baisse de revenus pour pas moins de 3,55 millions de ménages. Parmi eux, ils seraient 1,5 million à ne plus avoir droit à quoi que ce soit. En parallèle, 3,3 millions de foyers verraient, eux, leurs ressources augmenter. Une opération loin d’être neutre, donc. Un an plus tôt, la Dares, institut de statistiques lié au ministère du Travail, s’était lancée dans un travail assez proche, en se penchant sur l’universal credit des Britanniques. En 2013, ces derniers ont choisi de regrouper plusieurs dispositifs d’aides, avec un versement en partie conditionné à la recherche d’emploi. Or, selon la Dares, cette réforme a eu un «impact modéré sur le retour à l’emploi» et à terme, «quoiqu’elle profite globalement aux ménages modestes», a entraîné une «diminution du revenu de certains ménages pauvres».

Tonino Serafini , Amandine Cailhol